Je continuais de le fixer. Nous nous regardions en chien de faïence, ce qui est assez désagréable je vous l'avoue. Nous savions tout deux que l'autre savait, mais nous ne voulions pas prononcer les mots qu'il fallait, parce que nous avions... peur ? Je ne pense pas. Je dirais plutôt une sorte de pressentiment qu'il ne faut pas le dire, jamais.

"-Je suis bien plus innocente que toi."

Je voudrais le pousser à bout. Voir ce qu'il à dans le ventre. Mais une petite voix au fond de moi me retient. C'est cette voix de la raison que je n'écoute jamais quand il faut. Je suis quelqu'un d'insensée, qui fait toujours ce qu'il ne faut pas. Mais je l'assume pleinement, et même si mes choix sont parfois des erreurs je m'en fiche, car au bout du compte, les chasseurs gagnent : toujours. Et puis ce n'est pas ce louveteau qui allait me faire peur. Mais bon, les jeunes loups sont toujours imprévisibles. Je m'assis sur une table. Je ne voulais pas me battre aujourd'hui, pas ici, pas maintenant, pas avec lui.

Je le regardais faire virer ses yeux couleurs "doré surnaturel". Il ne me faisait pas peur, il ne m'impressionnait pas. Et la couleur de ses yeux m'importaient peu. Je me doutais qu'un loup comme lui ne pouvait pas être un alpha, alors que ses yeux soient bleus électriques ou doré, cela ne me faisait ni chaud ni froid. Avait il besoin de me prouver qu'il n'était pas un monstre et qu'il ne tuait personne ? Ou essayait il de se le prouver à lui même ? Et maintenant quoi. Il se transforme, il m'attaque et il me tue ? Il ne bouge pas et je le tue ? Il ne bouge pas et moi non plus ? Je descendis de ma table et m'approchais, sans pour autant me saisir de mon arme. Je voulais juste observer, de plus près, le jeune loup. Je m'approchais et fixais ses yeux du vert intense qu'étaient emplis les miens.

"-Je suis sa cousine."

Dis je avec un sourire.

Je le laissais s'écarter de moi. Il avait un peu peur au fond de lui, je le pressentais. En fait il avait peur de la réputation de ma famille, peur parce que j'étais une chasseuse et lui la proie. Peur de sentir que le prédateur devenait la proie. Qu'elle ne lui ai jamais parlé de moi ? On ne peut plus logique. Elle ne me connait pas. Je viens d'arriver chez elle et lorsque j'ai déposé mes affaires elle était déjà partie pour l'école. Elle ne sait donc pas que sa cousine dont toute la famille a été assassinée par une meute de loups garous, vient de s'installer sous son toit. Et j'espérais tellement bien m'entendre avec elle...

"-C'est normal."

Isaac souriait. Jouait il à un jeu ? Ou tentait-il de comprendre mon caractère plutôt bizarre et mon humeur changeante ? Parce que s'il essayait cela, il allait se heurter à un mur. J'étais la personne qui changeait le plus rapidement d'opinion. Il y a une dizaine de minutes je mourrais d'envie de le faire se transformer et de lui loger une balle dans le crâne et maintenant je ne voulais ni le tuer ni même le torturer pour l'instant. Je voulais juste discuter, et un peu plus en apprendre sur cet endroit.

Je haussais un sourcil. Le fait de murmurer force les gens à tendre l'oreille. Ils écoutent plus attentivement et découvrent une capacité innatendue : le fait d'avoir une ouïe plus développée que l'on ne le pense. Enfin bref. Je me demandais de qui il pouvait bien parler. Il venait de rencontrer une cousine ? Nan pas forcément une cousine, un cousin ? Bon okay, quelqu'un dont il ne soupçonnait pas l'existence venait de surgir dans sa vie. Moi ? Mais nan quelle conne il se parle à lui même. Et puis moi, je veux rien avoir à foutre dans sa vie. Et pour une fois, la curiosité ne l'emporta pas, et je ne lui posai pas la question qui me taraudait l'esprit.

"-Si tu lui dis ! Je te tue."

Il ne manquerait plus qu'il lui dise. Ah mais non alors ! Je voulais une super rencontre avec ma cousine si ce mec ne sait pas tenir un secret, alors il y passera. Mes accès de colères sont, je le sais, un peu exagéré mais bon, j'ai le sang bouillonnant ce n'est tout de même pas moi qu'il faut blâmer. J'avais dit ça un peu sur un ton radical. Mais le "je te tue" pouvait être compris au sens figuré, comme je l'espérais, ou au sens propre, qui ne me dérangeait pas non plus. Si tes ennemis ont peur de toi, alors tu as l'avantage.

Ah ouais ? Et bien mon petit gars tu te fourres le doigt dans l'œil si tu penses cela. Bien évidemment que j'oserai le tuer ! Il ne faut pas oublier que je suis une chasseuse et lui un loup garou. C'est dans les règles que je le tue. Je tue les créatures surnaturelles menaçant l'équilibre planétaire c'est tout, je ne suis pas une meurtrière. Je le fixais.

"-Ecoute moi le louveteau. Ici tu reste une personne normale avec un comportement normal et je ne te ferai aucun mal. Mais là-bas (dis je en pointant du doigt la forêt que l'on voyait à travers une fenêtre), c'est la cour des grands. Si Chris me dit de te chasser. Je le ferais, sans aucun scrupules."

Comme ça c'était clair. Aucune hostilité au lycée. Ce serait trop dangereux. Mais lorsque la nuit est tombée, tout est joué, les cartes sont sur la table. Je ne lui ferais aucun mal pour l'instant. Il n'a pas l'air d'être un tueur. L'impressionner est la seule chose nécessaire pour le moment. Je ne suis pas stupide au point de le tuer en présence de ma cousine non plus. Si je dois le faire, ce sera sur les ordres de quelqu'un, comme ça elle ne pourra pas m'en vouloir.

J'étais en train d'obtenir de ce loup plus d'informations que je ne l'aurais espérer. Alors comme ça, les Argent ne chassaient pas ce loup. Pour quelles raisons ? Parce qu'il était dans les petits papiers de la jeune Allison, ou bien parce qu'il ne tuait pas. Etait il un allié et pouvais je lui faire confiance ? C'était une bonne question. Ne jamais se fier à l'ennemi Heather, souviens t'en. Je ne savais pas trop dans quelle catégorie mettre Isaac. Les gens à qui je peux faire confiance ? Soit dit en passant mes amis, ou ceux à qui je ne le peux pas, mes ennemis. Je décidais de créer une nouvelle catégorie de gens, les neutres. C'était moins radical que d'habitude mais c'était déjà ça.

"-Pourquoi les Argent te protègent-ils ?"

Logique, s'ils ne le chassaient pas, alors c'était une sorte de protection. Mais il pouvait également se protéger tout seul étant un loup. Je retournai m'assoir sur une table, les jambes pendant dans le vide. Mhh, je cogite trop, je devrais apprendre à connaître les gens, et ensuite les juger. Mais c'est contraire à tous mes idéaux. D'habitude je fais l'inverse, juger, apprendre à connaître et ensuite changer mon jugement si c'est nécessaire ou alors, retrouver mon jugement fondé.

Je le regardais : sceptique. On m'avait toujours appris que les loups étaient des bêtes sanguinaires mais il semblait que les loups d'ici étaient différents. Je n'avais jamais eu une vision pareille des choses. Pour moi les loups étaient une espèce à éradiquer de la planète, pour toujours. Et il s'avérait qu'ils pouvaient, en se contrôlant, rester assez humain pour contrôler la bête en eux ? Etait ce possible ?

"-Si les Argent te font confiance. Alors j'en suis."

Le fait d'avoir un ennemi commun avait rapproché les chasseurs et les loups. Qui l'eut cru ? Et puis à ce qu'on m'avait raconté, vaincre le kanima n'avait pas été de tout repos. L'aide des loups garous avaient du être bénéfique pour les chasseurs. Une aide en plus est toujours la bienvenue dans ce genre de cas.

Techniquement le "j'en suis" voulait dire que je n'allais pas le tuer si ma famille lui faisait confiance. C'était déjà ça. Après, pour avoir ma confiance, il allait devoir se surpasser le pauvre loup. Mais au fond de moi je vois bien qu'il n'est pas "le grand méchant loup". Mais alors lorsqu'il se transforme, qui tue t-il ? Et puisqu'il ne tue pas, comment se nourrit il de sang ? Je lui souris et me relevais en me dirigeant vers le tableau.

"-Je l'espère aussi. Tu vois, tout n'est qu'un cercle vicieux de haine réciproque."

Je traçais une pointe de flèche et un croc. La craie crissa sur le tableau. Je reliais les deux. Les loups haïssent les chasseurs parce qu'ils les tuent. Donc ils tuent les chasseurs, qui les haïssent plus encore. Tout est lié.

Je me recule un peu et regarde ce cercle. Alors comme ça Isaac pense que l'on peut briser cette roue. Mais si c'était la roue du destin ? On ne pourrait pas la briser. Je lui tends la craie avec un regard interrogateur. Je me demande bien comment il veut s'y prendre. Transformer tous les chasseurs en loups ? Et qui ne nous dit pas que peut être qu'ils continueraient de chasser les loups garous, même en devenant l'un des leurs ? Et les chasseurs se suicideraient s'il devaient être transformés. Enfin, la plupart...

"-Tu penses ? Montre moi."

Je m'assois sur la table du premier rang et regarde loup-garou sous forme humaine qui se tient pas loin de moi. C'est vrai que sous forme humaine, rien ne les trahit. Sinon un tempérament bouillonnant, mais le mien l'est aussi, et une capacité à se contrôler très peu développée.

J'écoute attentivement ce qu'il me dit. Ca me permet d'en savoir un peu plus sur ce qui se trame ici pendant que je reste dans l'ombre comme une idiote à attendre sagement et à prendre des notes comme une élève. Je pense que son idée de coopération n'est pas mauvaise sauf qu'il y a un hic. Nous ne coopérons pas avec ceux qui veulent nous bouffer à chaque pleine lune et que nous devons enfermer sans quoi nous n'avons plus de tête. De plus, les loups-garous peuvent nous faire chanter du style, je suis le chef, sinon je tue plein d'innocents. Je ne pense pas que cela puisse fonctionner de la sorte. L'animosité entre les deux espèces est trop grande, trop vieille, les blessures des familles trop profondes pour être comblées, les cœurs trop creux.

"-Et la haine ?"

Il y a toujours des problèmes, des morts, et la mort, conduit inexorablement à la haine. Je connais ça, par expérience. Non pas de la mort, plutôt de la haine.

Je le regarde en penchant la tête de côté. Par moments, il me semble tellement innofensif, voir même fragile. "L'habit ne fait pas le moine" je sais, mais là il a l'air tellement pacifiste que je parviens même à me poser des questions sur ses idéaux. Il parlait un peu comme un psychologue plus qu'autre chose, avec une once de détermination et de commandement dans la voix. Cela ne me dérangea pas le moins du monde, s'il avait la voix d'un leader, c'était bien pour lui et pour son avenir. Isaac essayait, contre son gré peut être, mais je ne pense pas, de me rallier à sa cause.

"-Je ne tuerai pas des innocents."

Comme ça c'était clair. Un loup sous forme humaine, est innocent. Un loup garou ayant repris forme bestiale, est dangereux, un prédateur, il doit, s'il tue, mourir. Si quelqu'un doit mourir, alors il mourra, tout est tracé pour les loups garous. Depuis toujours ils sont traqués, et le seront probablement toujours. On ne peut pas changer la nature humaine ! Il y aura peut être des moments de paix, ou des moments de guerre, mais cette soif de tuer, cette haine, reste en nous, quoi qu'on y fasse.

Sur la même optique sans doute. J'essayais tant bien que mal de comprendre la mentalité d'Isaac, son point de vue de loup-garou. Mais je me dis que jamais je ne pourrais être à sa place donc, c'était peine perdue.

“-Depuis quand es tu un loup-garou ?”

En général, on ne disait pas ce mot à voix haute dans le lycée, il nous faisait frissonner de peur que quelqu'un entende. Mais ici, personne ne pourrait nous entendre, si ce n'est un autre loup-garou à l'ouïe développée.

J'avais le droit de demander non ? Ou peut être était ce interdit ? Avait on beaucoup de libertés ici en tant qu'humaine, ou devait on se justifier à chaque phrase ?

"-Question de chasseuse déso, vieille habitude."

J'avais toujours l'habitude de tout apprendre sur les loups-garous, c'était une vieille habitude, la routine pour moi. Baisser sa garde et se taire et écoute permettait de gagner beaucoup d'informations et de ne jamais en divulguer de trop importantes.